Prologue
Un jour, l’être humain que je suis était au plus bas à tous niveaux. Un bon ami m’a dit » la souffrance se choisit « . Je dis « désolée, je ne comprends pas » et on a eu ensuite une discussion très riche d’un point de vue intellectuel. Sauf qu’au final, ça n’a pas atténué mes souffrances.
Au départ, bien évidemment, je n’y croyais pas « c’est n’importe quoi tout le monde souffre c’est comme ça c’est normal c’est la vie c’est l’essence même de la condition humaine » … Sauf que les jours qui ont suivi notre échange, sa phrase (bien que je n’étais pas d’accord) a dû résonner si fort dans mon inconscient qu’en me levant après une très bonne nuit de sommeil je me suis dit » de toute façon, si on est conditionnés à souffrir c’est qu’on peut se conditionner à être heureux. Ce qui est conditionnable est forcément programmable. plaisir/douleur…et si quelque part, il y avait un fond de vérité ?
Et si, en effet, la souffrance était un choix ?
Pour traiter ce thème je choisis de mobiliser la dialectique de Platon : je pose (thèse) l’oppose (anti-thèse) je compose (synthèse). Bonne lecture.
INTROUCTION
Qu’est-ce que « choisir » au juste ? Sommes-nous capables de choisir de souffrir ou non ? En quoi ce choix relève d’un mythe ? Et en quoi il a une part de vérité ? Sommes-nous capables de questionner cette problématique sans tomber dans le dogmatisme ou la complaisance ? Sommes-nous réellement libres ou tout est déterministe dans cette question ?
THÈSE
Cette idée, on ne la trouve pas que dans des citations spirituelles.
Elle est aussi défendue par certaines approches psychologiques, comportementales et cognitives.
Les sciences comportementales nous rappellent que l’être humain agit selon des schémas appris.
Des boucles de stimulus-réponse, renforcées par l’expérience.
Si un événement douloureux est suivi d’un soulagement temporaire (attention, compassion, repli rassurant), le cerveau peut intégrer que souffrir = obtenir un bénéfice.
Ce n’est pas conscient, ce n’est pas pervers, c’est simplement un conditionnement.
La programmation neuro-linguistique (PNL), elle, propose une lecture différente :
“La carte n’est pas le territoire.”
Ce que je ressens n’est pas la réalité pure, mais une construction subjective de celle-ci.
Mon système de représentation (mes images mentales, mes mots, mes émotions) façonne mon expérience, donc potentiellement ma souffrance.
Changer ma façon de raconter l’événement — mes mots, mes ancrages, mes images internes — pourrait modifier ma relation à la douleur.
Les sciences cognitives, enfin, suggèrent que nos pensées influencent fortement nos états internes.
La fameuse “triade de Beck” (je suis nul / le monde est dangereux / rien ne changera) illustre comment des croyances enracinées peuvent alimenter l’angoisse ou la dépression.
Et les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) nous apprennent qu’en modifiant volontairement certaines pensées ou comportements, on peut diminuer la souffrance psychique.
Mais justement : parlons de volonté.
On présume souvent que si la souffrance se choisit, alors il “suffirait” de vouloir ne plus souffrir.
Mais la volonté n’est pas un interrupteur “on/off”.
Elle est fluctuante. Fragile. Conditionnée, elle aussi, par l’état du corps, les hormones, le sommeil, la mémoire, les blessures.
La volonté n’est pas un outil neutre — c’est une fonction psychique qui dépend elle-même de notre état de ressource.
Autrement dit :
Il est plus facile de choisir de ne pas souffrir quand on va déjà un peu mieux.
Quand le mental est clair, le corps apaisé, le système nerveux régulé.
Mais dans le chaos, au cœur de la détresse… la volonté se retire.
Elle ne disparaît pas. Mais elle se fige. Se replie. Se tait.
Alors oui, vu sous cet angle, la souffrance semble au moins partiellement modulable.
Non pas sur commande. Mais avec entraînement, lucidité, patience.
Cela laisse penser qu’il existe une marge de manœuvre.
Et c’est là que la phrase “la souffrance se choisit” prend un autre sens :
Pas un choix brut, immédiat, volontaire.
Mais un choix de rester, ou non, dans certains schémas mentaux — quand les conditions sont réunies.
Alors peut-être que, dans certains cas, on ne souffre pas par obligation, mais par habitude.
Et que le vrai pouvoir réside dans cette prise de conscience :
“Si ma souffrance est en partie une construction, alors peut-être que je peux en déconstruire certains murs.”
Mais…
Ce “peut-être” ne vaut que si j’ai un sol stable pour m’appuyer.
Et ce n’est pas toujours le cas.
Et c’est là que les limites surgissent.
C’est-à-dire que dans l’absolu, non la souffrance n’est pas un choix. Il s’agit plutôt d’un reflet de nos propres schémas internes. Ce qui se choisit ce n’est pas la capacité de souffrir mais bien celle d’en faire un frein ou un moteur.
La souffrance est comme une rivière que l’on ne choisit pas toujours de traverser, mais on peut décider si elle nous emporte ou si elle nous pousse à grandir.
ANTI-THÈSE
Avec ou sans schémas psychologiques, il est difficile de ne pas identifier une forme de déterminisme psychologique dans la condition humaine.
Nos propres schémas mentaux, croyances limitantes, conditionnements inconscients façonnent bien souvent nos réactions et nos émotions sans que nous en ayons pleinement conscience ni contrôle. Par exemple des émotions comme la peur, la honte, culpabilité ou la douleur physique peuvent nous paralyser, rendant le choix de ne pas souffrir impossible à l’instant -t.
Parlons du Trouble du Stress Post Traumatique : est-ce qu’on choisit de revivre l’expérience avant de dormir ? de rejouer les sons images odeurs ? Choisissons nous vraiment de revivre les émotions associées ? Avons-nous le contrôle sur les réactions physiologiques (coeur en chamade, sueurs, troubles respiratoires, sensation de vertige etc ) qui l’accompagnent ?
Et le libre-arbitre dans tout cela ?
Même si nous pouvons affirmer que nous avons une marge de manœuvre, elle est limitée par notre état émotionnel, notre santé mentale, notre environnement social et les circonstances extérieures. La volonté n’est pas un interrupteur, elle fluctue selon notre énergie, notre sommeil, notre histoire personnelle. Parfois, la souffrance est imposée par des événements hors de notre contrôle (maladie, perte, traumatisme), ce qui empêche radicalement la possibilité de choisir.
On ne se réveille pas un matin en se disant : » Quelle merveilleuse journée je décide de ne pas souffrir aujourd’hui ! «
On pourrait très bien essayer mais on se retrouve rapidement confronté à la dure réalité que non, si nos perceptions sont complètement biaisées par nos blessures et traumas, nos réactions font état objectif et mesurable d’une souffrance qu’il devient difficile de nier voire impossible à balayer d’un revers de volonté.
Alors oui on peut choisir et décider du « comment aborder cette souffrance » mais pas l’empêcher de se présenter à nous.
D’un point de vue neurologique et psychologique
La souffrance est aussi une réponse automatique, un réflexe de survie, un signal d’alarme. Elle n’est pas toujours consciente ni volontaire. Le cerveau peut être programmé à répéter des schémas douloureux par habitude ou par peur du changement.
Le cerveau est à la fois notre ami et notre ennemi. Il est effectivement à l’origine de certaines souffrances mais tout aussi bien le garant de notre survie.
Autrement dit, il fait tout pour qu’on souffre et tout pour éviter la souffrance.
Il est programmé pour éviter la douleur immédiate, mais capable de reproduire la souffrance à long terme par automatisme, par sécurité, ou par peur du changement.
Le cerveau reptilien (primitif) ne cherche pas à nous rendre heureux, mais à nous maintenir en vie.
Pour lui, toute nouveauté est perçue comme un danger, le changement comme une menace, et le moindre stress déclenche une alerte maximale. C’est ainsi que s’installent certains cercles vicieux : nous répétons des schémas douloureux non parce qu’ils nous conviennent, mais parce qu’ils sont familiers, prévisibles et supportables.
Tant que ce cerveau primitif reste aux commandes, la souffrance devient un mode de régulation automatique. Ce n’est qu’en rétablissant un dialogue entre nos différentes parties cérébrales : l’instinct, l’émotion et la raison, que le choix véritable (et non absolu) peut émerger.
SYNTHÈSE
En résumé, la souffrance n’est pas un choix pur et simple, mais un phénomène complexe influencé par des facteurs internes et externes qui ont tendance à restreindre notre liberté de décision. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas de libre-arbitre ou que nous sommes condamnés à souffrir, mais que le chemin vers la liberté intérieure demande du temps, de la conscience et un travail progressif.
Références
- B.F. Skinner – Science and Human Behavior (1953)
- Albert Bandura – Social Learning Theory (1977)
- Richard Bandler & John Grinder – The Structure of Magic I & II (1975-1976)
- Robert Dilts – Changing Belief Systems with NLP (1990)
- Aaron T. Beck – Cognitive Therapy and the Emotional Disorders (1976)
- Judith Beck – Cognitive Behavior Therapy: Basics and Beyond (2011)
- Lisa Feldman Barrett – How Emotions Are Made (2017)
- Roy F. Baumeister – Willpower: Rediscovering the Greatest Human Strength (2011)
- Daniel Kahneman – Thinking, Fast and Slow (2011)


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